A Hélène Marquié
1. Le tableau que j’ai failli vendre
Jeannine, je t’ai découverte par hasard. Un livre adoré sur de Staël que j’ai perdu lors d’un dégât des eaux. J’y ai lu quelque chose comme « elle a sacrifié sa carrière pour lui, et arrêté de peindre pour qu’il puisse continuer ». J’ai lu aussi que le peintre avait épousé une autre femme quelques mois seulement après sa mort. Ça a tourné dans ma tête. Comment pouvait-on se remarier quelques mois à peine après la mort d’une femme aussi dévouée ? « Un être qui m’a tout donné ». C’est comme ça que Nicolas qualifie Jeannine. Elle lui a tout donné, oui. Tellement que la postérité l’a oubliée. Il m’a fallu des années de cheminement pour te trouver, Jeannine. Des années de fascination éperdue pour l’œuvre de Nicolas. Des années de souffrance, de création, d’exaltation, de mise à l’index. Il a fallu que je porte plainte pour harcèlement moral au travail, que je me mette sérieusement à étudier les questions de genre, à dévorer ou à imaginer les histoires de femmes laissées sur le côté des chemins de l’art pour me demander qui tu étais. Qui tu serais. Qui tu aurais pu être. Qui tu pourrais devenir en cheminant avec moi.

D’abord très abstraitement vers 2011. Et puis très concrètement ces derniers mois. J’écoute ce podcast sur France-Culture, en suivant le lien indiqué sur le site www.lematrimoine.fr. Il se trouve que moi aussi j’ai contribué à la création d’une plate-forme sur le matrimoine. La nôtre s’intitule www.matrimoine.art. Elle porte sur le matrimoine afro-américano-caribéen. Les transmissions au féminin, c’est un sujet qui me parle. Je fais venir en Martinique le catalogue de l’exposition qui vous a été consacrée, à Nicolas et toi. Je n’ai jamais vu un seul tableau de toi. J’attends de recevoir le catalogue pour avoir une vue d’ensemble. Que je n’aurai jamais, puisque ton œuvre, tu l’as à peine entamée. Juste un avant-goût d’un fieffé paradis.
J’ai enfin le catalogue en main. Je contemple une aquarelle de ton mari, Olek Teslar. « Maroc », 1933, Aquarelle sur papier. Des toits empaillés, des murs aux lignes courbes. Un regard oblique sur la gauche : deux lucarnes semblent nous observer, nous guetter même. Olek sera ton seul et unique mari, puisque je découvre que tu n’as pas réussi à mener jusqu’au bout la procédure de divorce, et que l’acte est arrivé au moment de ta mort, dixit la chronologie insérée dans l’ouvrage. Je suis fascinée par ton voyage sous la tente à travers le bled : « Le temps est magnifique, nous vivons nus. Le tout-petit comme un ver se tortille sur le sable. Un aigle énorme rôde autour de lui » (Andral & Abadie, 2011, p. 16). Sur ton récit se superpose ceux de ma mère, qui a traversé le Sahara en Algérie dans les années 60 à dos de chameau pour faire l’école itinérante aux enfants. Ceux de ma grand-mère aussi, partie rejoindre à 20 ans son mari, le Réunionnais engagé dans les Tirailleur Sénégalais, dans les anciennes colonies.
Jeannine, tu pourrais être ma grand-mère. Tu es née un an avant elle, en 1909. Comme elle, tu étais téméraire et avide de grands espaces. Elle a embarqué seule en 1930, pour Saïgon, le Tonkin, puis le Sénégal. Toi, tu es parti d’abord pour la Pologne avec Olek, puis avec un enfant âgé de 2 ans, vous êtes partis pour le Maroc en 1933. Tu l’as rencontré lui, le Grand Nicolas, là-bas, à 28 ans. Tu étais allée là-bas pour chercher l’exotisme, il coule à flots dans mes veines.
Les couleurs de ton histoire épousent par endroit les contours de la mienne.
On m’a raconté que mes ancêtres, ceux de mon grand-père paternel, auraient traversé le Sahara depuis le Maroc au XVIe siècle pour se rendre en Algérie. Qu’à l’entrée on aurait demandé à mon ancêtre berbère : tu es le fils de qui ? Et qu’il aurait répondu Fils de qui, c’est mon nom – abandonnant ainsi l’ancien aux portes de Tlemcen. Benachenhou. Je connais un mot en arabe, enfin une question raccourcie, formidable non ? Vous avez fait un séjour à Alger en 1937. Je te jalouse. Je ne suis jamais allée en Algérie, bien que mon père y soit né. En 37, il avait deux ans. Il entendait les musiciens de sa famille jouer du violon et de la derbouka. Il supportait l’extrême pauvreté. Toi aussi, apparemment.
Les couleurs que tu es allée chercher au Maroc, je les ai rencontrées à La Réunion, où ma mère a décidé de partir avec ses deux filles en 77. Retrouver le pays de son père, mon grand-père le tirailleur sénégalais, mort trop tôt, fauché par une moto. En 77 j’avais 5 ans. J’ai vu le rouge des letchis, les fleurs ondulantes de la plaine des palmistes, la Piton de la fournaise dont la lave figée et noircie avait envahi la ville de Sainte-Rose, d’où venait ma famille. Je n’ai rien compris, j’ai tout goûté, j’ai tout pris en pleine figure.
Moi, contrairement à toi, je n’avais pas fait d’études de peinture. C’était proscrit, banni dans ma famille. Mais au fond toi et moi à 28 ans on était sûres d’une chose : Nicolas était notre homme. C’était mon idole. Quand je suis retournée vivre en Guadeloupe en 2001, où j’avais aussi passé mon adolescence, j’emportais des catalogues de ses toiles avec moi à Saint-Claude. Là où je travaillais, dans les locaux tout neufs du nouveau département de Lettres, récemment devenu Faculté. C’était ma non-lecture préférée. Mon moment d’évasion au pied du volcan.
Toi en 1926, à 17 ans, tu entres à l’Ecole des arts décoratifs de Nice. Tu entres en pays connu, finalement. Puisque tu peins déjà depuis au moins deux ans, dit ta biographie. Moi j’ai fait des études de littérature. Débarquée en France à 17 ans, je me suis retrouvée en hypokhâgne à Toulouse. Le choc a été rude. C’était pour moi, venue de La Réunion puis de Guadeloupe, un lieu sauvage, au rêve inhospitalier… Une lutte pour la survie, qui s’est soldée par une belle dépression. Tout au long de ces années toulousaines, je savais que je voulais peindre, c’était lancinant en moi, un refrain qui passait en boucle, mais comment, avec quoi, mystère et toile de lin. En attendant de résoudre l’énigme, j’ai passé les concours, fait une thèse. Finalement, j’ai eu la révélation pour Noël 99. Un peintre charmant, qui tenait la boutique où se trouvait la précieuse chose, la peinture à l’huile, m’a expliqué que j’étais une peintre autodidacte. Ça m’a fait penser à l’Autodidacte de Sartre dans La Nausée. J’en ai gardé le souvenir vague d’un personnage étrange, insaisissable. Va pour l’autodidacte, à condition de ne pas me prendre au sérieux autant que lui. J’aurais dû me prendre quand même un peu au sérieux. Histoire de…. Histoire de ne pas dire non la première fois qu’un acheteur s’est présenté en Guadeloupe. Sam, un ami de mon beau-père Victor Sabardin, l’Ecrivain-agriculteur, l’auteur de Journal atypique d’un nègre fou. Sam m’a dit : «J’adore ce que tu fais. Donne-moi un prix je sors mon carnet de chèques ». Je l’ai regardé, j’ai eu peur, tout s’est embrouillé, j’ai regardé la toile, j’ai dit non, plus tard, on verra, désolée… J’ai fait ce que Julia Cameron appelle un « demi-tour créatif ». Il s’appelle Tryptique, il est de 2004. Il n’existe plus tout à fait sous cette forme, je l’ai un peu modifié depuis.
Non, Sam, ou comment refuser le chemin du succès. Je suis restée avec mes toiles sur les bras. J’ai presque abandonné. J’ai voulu me prouver que je pouvais faire carrière dans la recherche. J’ai écrit abondance d’articles pour obéir au système de l’excellence scientifique. Je me suis retrouvée exsangue. Avec des hauts et des bas, dans un tourbillon de travail impossible à freiner. Difficile de sortir du système. Produire, écrire, transcrire, souscrire, détruire… tout ce qui finit en ire. De ira en latin, la colère oui à la fin, de ne pas être moi-même.
Toi, au contraire, tu as commencé à peindre dès 15 ans, et tu as exposé très tôt. Ta biographie mentionne, 1935 « Première exposition à Fès avec Jean Deyrolle, dans le hall du journal L’Ouest africain. » Qu’es-tu ressenti en voyant tes toiles au mur ? En discutant avec ces gens qui venaient acheter ton travail ? Qui étaient ces gens d’ailleurs ? Qui achetait des toiles à Fès en 1935 ? Tu as 26 ans, un mari, un enfant, un cousin peintre. Tu as exposé, tu danses, tu vis intensément, tu as traversé le Maroc à pieds, en caravane. Tu as déjà vécu les deux tiers de ta vie. Je contemple ton aquarelle, « Village marocain » (1933). Les lignes circulaires, gondolées, sont douces et accueillantes. Tu étais là, au premier plan de l’Histoire en train de se faire. L’histoire de ce Maghreb émergeant peu à peu de ses tutelles. L’histoire de deux peintres dont l’un deviendrait l’un des plus grands peintres de l’histoire de l’art. Pourtant, tu crois que l’Histoire peut se faire sans toi, tu l’écris dans une lettre au sujet de Nicolas : « Je tâche de lui donner confiance en lui. L’Histoire du monde n’est-elle pas faite de quelques hommes qui ont eu confiance en eux ? » C’est ça ta définition de l’histoire du monde. Je trouve que tu n’as pas tort d’ailleurs. Le moins qu’on puisse dire c’est que Napoléon a eu confiance en lui. Et ce n’est pas faute d’avoir reçu quelques déculottées.
Mais voilà Jeannine, tu ne sais pas que Michelle Perrot ou Françoise Thébaud vont réécrire l’Histoire en intégrant les femmes. Surtout, surtout, tu ne sais pas encore que la vie est plus extraordinaire que la fiction, que c’est une femme, et non des hommes, qui a révolutionné la peinture ! Hilma Haf Klint, 1844-1962, que j’ai découverte il y a si peu de temps, en surfant sur le net en toute sérendipité !! J’en suis stupéfaite. Abasourdie. La grande pionnière de l’abstraction, que j’ai loupée si longtemps et pour cause, n’a connu sa première rétrospective qu’en 2008 à Stockholm ! Je suis fascinée. Bien avant le couple Delaunay, avant Kandinsky et tous les autres, ces ronds de couleurs, ces volutes… l’histoire de l’art se réécrit sous nos yeux. Je me sens subitement une nouvelle filiation. Mon espace intérieur s’est agrandi, s’est raffermi. Je peux m’adosser à une grande, une très grande femme peintre, qui est allée au bout de son œuvre, même si elle ne l’a pas assumée publiquement, et pour cause. Une femme a peint sous le manteau et sous la dictée, se revendiquant de visions médiumniques, une œuvre qu’elle a tenue secrète, cachée, et dont elle a demandé qu’elle soit dévoilée 20 après sa mort. Finalement son grand œuvre n’a été offert aux regards que dans les années 80, et n’a eu droit à une rétrospective qu’au XXIe siècle. Ainsi au temps où peignaient les Delaunay, une œuvre sagement enroulée attendait son heure. Hilma Haf Klint. Artist, researcher, medium, titre un ouvrage collectif de 2020 chez Hatje Cantz.
Serendip a bien fait son travail. Mon œil a été attiré par le mot medium. C’est comme ça que j’ai découvert Hilma. Par notre vocation commune. La médiumnité. Voilà un mot que je ne prononce jamais à l’université, dans mes travaux de recherche, sur scène. Presque pas avec mes amies. Bref, c’est un mot qui demeure tabou. C’est en discutant avec Renaud Evrard, enseignant-chercheur co-fondateur de CIRCEE, réseau de recherches travaillant sur les expériences exceptionnelles, que je prends conscience de ce clivage dans ma vie. De ma souffrance à ne rien pouvoir en dire. Renaud Evrard me répond que ce serait bien ces différentes parties de moi. Comment faire ? Tout ça me paraît impossible, indicible dans ce petit monde français qui se dit cartésien, alors que le même Renaud Evrard me parle des citations de Descartes sur l’intuition. C’est sans doute un autre chapitre, et pourtant non c’est le même. Quand je peins je me sens connectée. On pourrait parler d’état de conscience modifié, ou d’état de conscience non ordinaire. ENOC. Mais quand je ne peins pas je me sens connectée aussi. Depuis que j’ai 13 ans, non, 7, non impossible à dater. Des prémonitions. Beaucoup de flashes. Sur l’avenir. Des visions du passé. Et beaucoup de visions de tableaux. Ils défilent devant moi. J’ai un musée intérieur. Mon esprit est une galerie. Des toiles à droite, à gauche. Est-ce que c’était comme ça aussi pour Hilma ? Où a-t-elle trouvé la force de poursuivre cette œuvre hors-norme, de la cacher, de la protéger ? Je lis que, grande adepte de la théosophie, elle a rencontré Rudolf Steiner qui n’a pas aimé ses toiles. Qui ne l’a pas approuvée. Á la suite de quoi, elle arrête de peindre pendant 4 ans. Heureusement pour nous, elle recommence. Comme je le connais ce scénario. Ça m’est arrivé si souvent, de croiser de grands hommes, ou de ceux que je prends pour tels, qui me désavouent. Qui me renvoient dans mon encoignure. Mais pourquoi ce besoin d’avoir leur approbation ? Parce qu’on m’a répété sur tous les tons, toutes les harmonies, toutes les tessitures, que les grands hommes ont fait le monde. S’ils l’ont fait, il est à eux. Il leur appartient. Je suis aussi formatée que toi Jeannine, rien n’a changé, décidément. Comment oser être une femme peintre, métisse, autodidacte, dans les années 2000 ? Alors qu’ont existé ou qu’existent les Richter ou les Kiefer ? Je n’ose pas. Je ravale mes visions. Et puis peindre, ça coûte cher. Tu l’as expérimenté dans ta chair, Jeannine. Tu as laissé les couleurs à Nicolas. Je ne vis pas dans un monde en guerre, mais dans un monde en crise. 2007, la crise. 2019, les gilets jaunes, toujours la crise. Je suis une obscure enseignante-chercheuse qui fait des heures sup pour pouvoir partir en vacances avec sa famille. Alors acheter de la peinture et des toiles, c’est la cadette de mes utopies !
Revenons à ton objectif. Donner à Nicolas confiance en lui. Ta tâche, ta mission sur la terre. Ça a marché pourrait-on dire. Il a décollé. Tout le monde en témoigne partout, et notamment dans cette formidable émission que je découvre sur France Culture. J’admire les deux (femmes) journalistes, qui implicitement, insidieusement, dans leurs questions, suggèrent tout de même, que peut-être, si Jeannine avait pu… que peut-être elle aussi, aurait été… J’apprécie l’ouverture de Daniel Abadie : « L’œuvre de Jeannine Guillou, c’est un grand point d’interrogation. On ne saura jamais ce que cette œuvre aurait pu devenir, on sait simplement qu’elle avait les prémices pour devenir quelque chose. » D’un côté le point d’interrogation, de l’autre selon, Jean-Louis Andial, le « lâcher-prise » : « Jeanine s’est effacée parce qu’elle était confrontée à la faiblesse de sa constitution et parce qu’elle avait conscience de ce qu’était la peinture de Nicolas. » Revoici la femme sacrificielle, qui choisit délibérément de tout donner au grand homme en devenir : « Elle a eu conscience de qui était Nicolas de Staël ». Et lui, pourquoi il n’aurait pas eu conscience de qui était Jeannine Guillou ? Il en a eu assez conscience pour l’épouser et accepter qu’elle lui consacre sa vie.
Mais elle, qu’en dit-elle ? Est-elle si comblée que ça, de lui avoir consacré sa vie ? Les journalistes citent cet extrait de sa lettre à la sœur du grand homme, que je retrouve dans le catalogue : « Il prend tant de place à tout point de vue que j’ai complètement cessé de travailler, n’ayant pas trop de toutes mes forces pour le soutenir dans une lutte passionnante et souvent dure. Puis il y avait la maison, les enfants… » Conscience de perdre peu à peu ses forces dans une bataille sans fin, ou plutôt avec une fin programmée en ligne de mire :
« Moi je veux vivre en lui…
ou être balancée à la fosse commune avec les sans personne. »
Poème écrit à l’Hôpital de Suresne, le 31 octobre 1945. Car tu étais poète aussi. D’un côté donc une femme artiste, à la constitution fragile, et pourtant qui le soutient de toutes ses forces, lui le grand Nicolas, à qui le Musée d’Art Moderne de Paris vient de consacrer une gigantesque rétrospective, en 2023. De l’autre Nicolas, qui cherche, qui cherche, et qui finit par trouver, dès lors que Jeannine s’épuise. J’écoute cette émission. J’entends ça. Une femme qui meurt d’épuisement au service d’un grand homme, et au sujet de qui on déclare qu’elle a « lâché prise » devant la conscience de la grandeur du héros. Pourtant, Jeannine se plaint, non ? « Il prend tant de place à tout point de vue »… Son espace est empli de Nicolas, sa fille le dit. A Paris, l’atelier est tout petit. Il n’y a de place que pour un chevalet. Ce sera celui de Nicolas. Leur fille raconte aussi dans le podcast une dispute entre Nicolas et Jeanine, sa peur de la colère de son père, son cri à sa mère qui ose défier le maître avec ses critiques : « T’as qu’à lui dire que c’est beau ! »
Jeannine se résume à cet effacement : sa peinture, son corps, ses traces, sa mort. Tout son être est aspiré dans la peinture et le destin de Staël. Voilà ce que j’entends, dans cette émission, que les journalistes choisissent de clôturer sur les mots de Jeanine : « J’ai confié ma vérité/ à un menteur né/ qui jamais ne pourra la dire/Il la vivra/Son génial mensonge/au monde la rendra palpable », Hôpital de Suresne, fin octobre 1945. Ces mots dans l’émission, comme dans le livre, ne sont suivis d’aucun commentaire. Ce sont les mots d’une fin tragique. Tout est dit…. Et l’on vient trop tard, comme dirait La Bruyère, à qui ça n’a pas coupé la chique. Trop tard pour restaurer Jeannine, pour transformer le point d’interrogation en un point d’exclamation. Trop tard pour lui rappeler ce qu’elle se doit à elle. Que si elle était si solaire que le disent les témoins, elle aurait pu trouver en elle ses illuminations. Même Rimbaud qui écrase tout le monde par son génie le disait, dans sa « Lettre du voyant » à Paul Demeny en 1871, les femmes pourront trouver leur voix : « Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, jusqu’ici abominable, – lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? – Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. » Alors, Jeannine, pourquoi cet effacement ? C’était l’époque ?
Eh bien c’est toujours l’époque. On a changé de siècle, on n’a pas changé le sort des femmes. Je sors de la lecture de l’ouvrage de Rebecca Solnis, Ces Hommes qui m’expliquent la vie : « Un homme agit sur la foi que vous n’avez aucun droit à la parole et que ce n’est pas à vous de décider quelle tournure prend un événement. Cette attitude revêt plusieurs formes : on commence par vous interrompre lors d’un dîner ou d’une conférence, on vous dit de vous taire, on vous menace si vous ouvrez la bouche, on vous frappe parce que vous l’avez ouverte ou on vous tue pour vous réduire à jamais au silence. Cette personne peut être votre mari, votre père, votre patron ou éditeur, l’inconnu à une réunion ou dans le train […] Il est là pour vous dire que des droits, vous n’en avez aucun. » Ça me rappelle cette professeure de sociologie qui m’a dit au cours du repas d’un colloque, dans le restau du CROUS, que depuis qu’elle était devenue professeure on ne lui coupait plus la parole. Parole confisquée. Moi qui ne suis pas devenue professeure des universités, j’ai bien été réduite au silence. Une première plainte pour harcèlement moral, classée sans suite. Je reçois ça, j’ai cette réponse entre les mains. Plainte classée sans suite, faute d’éléments suffisants. Donc si un collègue, ton supérieur hiérarchique de surcroît, écrit une lettre de diffamation circulant auprès de divers professeurs de l’université et du président, c’est normal ? Tu n’avais qu’à pas lire ce mail, d’ailleurs il ne t’était pas destiné, dira la partie adverse. Si cette personne te menace en réunion, et qu’il y a des témoins, ce n’est toujours pas une preuve ? S’il prend toute la place et toi aucune, c’est normal. Tu occupes ta place de femme, sur le côté. Sur la bande. Dans la marge. Pourquoi continuer ? à vivre ? à travailler ? à créer ? à peindre ? Autant te laisser couper la parole définitivement non ?
A partir de 1943, dixit Le Delarge, dictionnaire, tu ne peins plus. Ce dictionnaire ajoute à la fin de ta fiche : « Elle a dit : “Pourquoi continuer à peindre puisque Nicolas peint ?” » En stylistique, j’ai appris que le connecteur « puisque » reprend les propos d’un autre interlocuteur. Exemple, tu n’as pas envie d’aller au ciné et ton amie insiste, tu lui réponds lassée : « Bon, puisque tu veux tant y aller, allons-y ! ». J’imagine alors la réplique de Nicolas : « Pourquoi continuerais-tu à peindre, puisque je peins ? » Bien sûr, Nicolas n’a probablement jamais dit ça. Ça relève de ce qu’on appelle l’implicite, les sous-entendus du langage. Ça ne pouvait pas se dire. Mais ça pouvait se faire comprendre. Quand Anne de Staël dit que c’était tout petit, qu’il n’y avait de place que pour un chevalet, on comprend qu’il n’y a de place que pour un peintre. Et pourquoi Nicolas ? Ça me rappelle ce livre formidable Le rêve brisée des working girls, de Claire Léost, paru en 2013. Elles ont beau être diplômées de grandes écoles, elles tombent dans tous les pièges. Elles suivent leur mari, elles oublient leur carrière. 70 ans après la mort de Jeannine, voilà où on en est. Mon rêve s’est brisé dans un éclat de taire.
Jeanine, d’abord tu es subjuguée. Tu mènes une vie aventureuse avec le beau Nicolas. Puis à Nice tu fais vivre la famille en vendant des toiles. Pour un temps, tu es donc le chef de famille. Ton père était amiral, paraît-il. Enfin, contre-amiral. L’avant-dernier échelon. Le très haut gradé de la marine française. La mise au pas tu connais ? Je me demande comment c’était dans ta famille. Des ordres, une éducation stricte ? Au fond tu avais peut-être un peu appris à obéir ? Tu sais en tout cas t’adapter aux autres. En épousant Olek Teslar, tu adoptes aussi sa nationalité. Polonaise. Il paraît que tu aimais danser. Ça nous fait un point commun de plus. Le témoin cité dans le podcast, et dans le catalogue La rencontre, le peintre suisse Wilfrid Moser, ne précise pas sur quelle musique tu dansais, ce soir-là au Maroc, quand tu as ébloui tout le public : « Une fois prise dans le rythme comme on se glisse dans la voie lactée, elle déploie à travers ses tourbillons et volutes une énergie propre à attirer sur elle toute la joie des danseurs de la fête, joie devenue sienne » (Andral & Abadie, 2011, p. 11). Dansais-tu au son des instruments traditionnels marocains, était-ce une chanson à la mode, une musique berbère, une musique arabo-andalouse ? Je trouve sur le net la chanteuse Cheikha Mina El Jadidia, qui interprète en 1930 « Kassidat Lekhab », « Le poème des prostituées ». Je t’imagine, Jeannine, sur cette musique lancinante et répétitive, entrer dans une sorte de transe… Je connais cet état où l’on ne ressent plus son corps, où on ne sait plus d’où vient le mouvement, ni où il va… D’où te vient Jeannine cet embrasement de ton corps ? As-tu dansé à Concarneau des danses traditionnelles bretonnes qui t’ont éveillée à ce plaisir du mouvement répétitif, martelé ? J’écoute les « Chants sacrés d’Algérie » par Houria Aïchi, pour me mettre dans cette ambiance du corps embrasé, et ces phonèmes que je n’ai pas appris à reconnaître. Comme dirait Leïla Sebbar, je ne parle pas la langue de mon père. Mais ton père, Jeannine, parlait-il la peinture ? Il paraît que tu viens d’une famille de peintres. Ton père est le frère du peintre Alfred Guillou, et ta tante Suzanne, sa sœur, épouse le peintre Théophile Deyrolles. J’imagine que tu voyais leurs toiles, que tu sentais cet héritage couler en toi. Des toiles de paysages bretons… la prééminence de la mer… et ton père, le contre-amiral, qui devait s’embarquer sans arrêt. Enfin il paraît qu’il a pris sa retraite quand tu avais 5 ans. Tu as sans doute été nourrie par ses récits ? La mer, les couleurs. Tu as tout pour me plaire Jeannine. Tu as donc plutôt parlé la langue de tes oncles. Et de ton cousin. Et de Nicolas. Celle de tous ces hommes autour de toi, qui portaient cet art sacré. Le porte-flamme est masculin. Et ton fameux cousin, Jean Deyrolles, obtient l’année même de ta mort le prix Kandinsky. Une petite flamme s’éteint, un grand feu s’étend. Le feu de l’abstraction, auquel tu ne participes pas. Ou à peine. Tu t’es retirée avant.
Comme tant d’autres.
Tu as été le modèle de Nicolas… Un modèle de femme aimante et dévouée. Une femme modèle en somme, pour être claire. Nicolas le dit, « un être qui m’a tout donné ». Qu’est-ce qui se serait passé, si tu t’étais donné un peu plus à toi-même ? Donnée tout entière à toi-même ? Pour moi tu es un anti-modèle. Je ne veux pas te ressembler et tout donner à un autre, qui ferait peut-être fructifier ce que je n’ai pas osé entreprendre. J’y vais fort d’accord. C’est mon interprétation des choses. Eh bien je l’assume. Nicolas est grand, est immense. Heureusement, ai-je envie de dire. Imagine, tu lui sacrifies tout et il reste obscur, inconnu… Tu perds tout. Là au moins, et pour reprendre un discours stéréotypé mais vrai, tu as gagné de lui avoir donné les moyens de devenir Nicolas. On t’a oubliée, mais tu as eu droit tout de même à une expo, à un catalogue, à une émission, et on se demande qui était cette Jeannine … Qui elle aurait pu être…
Est-ce que ça te suffit ? est-ce que ça te convient ? Je relis ton poème, hôpital de Suresne, fin octobre 1945 :
Et moi je suis là dans un lit où lasse je lis
Où pour me délasser
Lentement je délie les cordons du passé.
Même le très passé remonte et me dépasse.
Qu’en faire ?
Tout est bon à jeter
Hors l’amour.
Je le ferai passer
en lui changeant son nom
ou mieux encore
en ne le nommant point.
Poème sur la mort, écrit par une mourante. Sublimes, ces jeux sur les mots. Mon moi poétique suspend son souffle, mais les heures propices ne suspendent pas leur cours. Jeannine est trépassée. Alors pour toi Jeannine, je souhaite faire passer devant nous le très passé… Imaginons que tout aurait été différent. Nicolas aurait tout sacrifié pour Jeannine, il se serait occupé des enfants. Il serait allé au parc toute la journée. Il aurait longuement contemplé la lumière dans les cheveux des enfants, le rose du ciel au moment du goûter, le bleu des arbres striés de froid, le violet du manteau de la passante attendrie devant ce papa gâteau gigantesque, devant son regard insondable, perdu dans les couleurs froissées de son monde intérieur évanoui. Le soir, il serait rentré, il aurait donné son avis sur la toile travaillée par Jeannine durant la journée. Il aurait préparé le repas, fait manger les enfants. Jeannine se serait reposée de son labeur inspiré. Il lui aurait massé les épaules, les pieds. L’aurait encouragée encore et encore, félicitée pour son talent. Elle aurait vendu toile après toile. Il l’aurait accompagnée dans ses tournées, gérant leur fortune.
C’est pourtant ce qui aurait pu se passer, dans la logique des choses. Le podcast le dit. Jeannine vendait bien ses toiles, pour faire vivre la famille. « L’œuvre a été peinte par une femme qui permettait à Nicolas de Staël de vivre et de travailler. » La voie était grande ouverte. Et puis, petit à petit, elle s’est rétrécie, refermée. Jeannine a cessé de faire vivre la famille, elle a même cessé de vivre tout court. Pour toi toujours je réécris l’histoire, ton histoire. J’imagine que c’est toi qui as obtenu le prix Kandinsky en 1946. La première femme de la famille à être couronnée peintre, à être officialisée. Ton père était mort, tes oncles aussi. Mais restaient Jean et Nicolas. Tous deux assistent à ton triomphe. Toi, dont on vante la chaleur, le caractère solaire, tu enflammes les foules. Et si, quitte à inverser le cours des choses, on imaginait que c’est toi qui es devenue veuve en 46, en même temps que tu reçois le prix Kandinsky ? Tu es terriblement malheureuse, et en même temps tu te sens tirée d’affaire. Ton œuvre est reconnue, financièrement tu sais que tu vas t’en sortir avec tes deux enfants. A condition de travailler dur. Mais tu y es habituée… Tu serais devenue célèbre, peut-être la prêtresse de l’abstraction… avec Sonia Delaunay et cette chère Hilma.
Au lieu de cela, ton vœu n’a pas été exaucé. Je lis ceci, Hôpital de Suresne, fin octobre 1945 (Andral & Abadie, 2011, p. 132) :
Je veux sortir d’ici lavée et repassée
délestée de la crase entassée
et des mauvais plis du passé
être une autre moi-même
parmi les mêmes autres.
J’adore ces deux vers. Je me les repasse en boucle. Être une autre moi-même parmi les mêmes autres. C’est aussi à quoi j’aspire maintenant. Maintenant que je suis presque sortie de ce harcèlement. Si vraiment on peut en sortir ! Plein de gens me disent que pour en sortir il faut partir. Quitter son poste, changer de lieu de travail. Facile à dire. Á l’université pour partir il faut être recrutée. Passer les obstacles, le gel des postes, les candidat·e·s locaux·ales, qui ont fait leurs preuves et attendent leur heure. « Être une autre moi-même parmi les mêmes autres. » C’est ce que j’ai décidé de faire. Maintenant. En me décidant enfin à exposer mes toiles.
2. Le tableau que j’ai accepté de vendre
Enfin Jeannine je te rejoins. Ta première expo à Fès, ma première expo à Paris, en avril 2023.
Je me suis décidée à montrer mon travail. Le propriétaire de la galerie a aimé. J’ai l’impression de me déposséder de moi-même. De vendre des parties de moi. De mon histoire. Qu’as-tu ressenti toi Jeannine pendant ta première exposition à Fès ? Fès, je revoie les bacs de teintures, la médina, les ânes qui nous poussent sur les côtés. C’est ça, je suis restée sur les côtés pendant tout ce temps. Maintenant je me mets à marcher en plein milieu des rues. Je suppose que tu étais fière, heureuse. Que tu te sentais puissante, vibrante. Donne-moi un peu de ta foi en toi, à l’époque. Moi j’ai vendu un seul tableau depuis toutes ces années. C’est celui-ci, « Rose renaissance ». Au titre anachronique, puisque c’est le rose de Fra Angelico qui me l’a inspiré. Je l’ai vendu en 2015, à une amie, professeure dans une université aux Etats-Unis, qui logeait chez moi quelque temps, venue pour un colloque que j’organisais. Elle l’a vu. Elle y a reconnu l’influence de Fra Angelico. Je n’ai pas compris d’où elle a tiré cette prescience. J’ai craqué. J’ai dit oui. Pour la première fois de ma vie. Oui. Quand j’ai tenu dans ma main l’argent de la vente, j’ai été émerveillée. J’ai acheté de la peinture. Je me suis réinstallée devant ma toile. Ça n’a pas duré longtemps. Le découragement a repris le dessus. Le fameux syndrome de l’imposteur. Françoise Héritier et Nicole Mosconi en parlent abondamment. Il touche plus les femmes que les hommes. Est-ce que tu te sentais plus légitime toi Jeanine, parce que tu venais d’une famille de peintres ? Et pourtant, tu as fini par abdiquer, toi aussi. D’où vient la légitimité ? Comment décide-t-on qu’on est légitime ? Qui fait de nous des êtres légitimes ? Le poids des institutions, des formations ? Et pourtant en poésie, pas de formation. Et je me sens légitime. Mais ça été là encore un long apprentissage pour me sentir légitime. Et la rencontre avec les hommes éditeurs a parfois été cuisante, voire outrageante. J’ai gardé une trace de la lettre de refus étrange, terrible, d’un éditeur apparemment indigné par ma langue poétique. Ou peut-être inconsciemment jaloux ? Toutes les hypothèses sont permises. Sa lettre très emphatique m’exhorte à me taire : « Alors cette forme, habile, m’incite à vous dire combien me décourage de vous conseiller de n’offenser ni la mémoire du poème ni même la poésie… »

Moi j’offense la mémoire du poème ? Voire toute la poésie ?
Heureusement, tous les éditeurs n’ont pas eu le même avis que lui. L’un m’a même déclaré : « Vous écrivez très bien. A chaque fois que je vous lis, j’ai envie de vous épouser. » Affirmation incompréhensible. Quel rapport entre les déliés de mon écriture poétique et le lien conjugal ? Bref, j’ai été publiée. Si c’est le fait d’être édité.e qui fait notre légitimité, alors, serait-ce le fait d’exposer qui nous consacre peintre ? Mais dans ce cas, c’est le serpent qui se mord la queue. Comment oser exposer quand on ne se sent pas légitime ?…
3. Le tableau qui a déclenché l’exposition à Paris
Je ne sais pas trop comment ça s’est décidé. Comme on dit, un concours de circonstances… un tableau que j’avais offert à une amie chère, tableau que j’avais ramené à Paris au cours d’un de mes voyages… Marine l’a montré à ce galeriste qui faisait partie de ses connaissances… et tout est parti de là. Une autre amie, emportée depuis par un cancer, avait passé une soirée entière à commenter ce tableau avec enthousiasme. Je lui en sais gré. Il me semble qu’elle y voyait un chat… et clairement une forme d’autoportrait inconscient dans le visage féminin qui apparaît au milieu du carré de tons clairs, sur la gauche…Elle-même m’a raconté qu’elle adorait peindre et que dans sa jeunesse, chez ses parents, elle peignait sur les murs. La suprême transgression pour moi, que je n’ai pas encore osé réaliser. Bien entendu, cette amie ne peignait plus depuis longtemps… Cette toile est un cri de rage à elle seule. La rabia, le mot me vient en espagnol. No sé porqué, peut-être parce que je peins en écoutant du son, « Sierra Maestra », « La familia Valeria Miranda ». Femmes artistes, unissons-nous autour de la rage !

Références bibliographiques
Andral, Jean-Louis & Abadie, Daniel (Coords.). (2011). La vie dure. Nicolas de Staël, Jeannine Guillou. La rencontre. Musée Picasso Antibes, SilvanaÉditoriale.
Bénac, Karine Katia. (6 juin 2023). Témoigner-performer un harcèlement moral sur le mode clownesque à l’université : un pari en recherche-création. Mouvements des idées et des luttes. https://mouvements.info/temoigner-performer-un-harcelement-moral-sur-le-mode-clownesque-a-luniversite-un-pari-en-recherche-creation/
Bénac, Karine Katia. (Publié le 6 juin 2023). Karine BÉNAC, enseignante chercheuse – artiste – Université des Antilles (volet 1) / Entretien réalisé par Philippe Diser [Vidéo]. ViàATV. https://viaatv.tv/karine-benac-enseignante-chercheuse-artiste-universite-des-antilles-volet-1/
Bénac, Karine Katia. (Publié le 8 juin 2023). Karine BÉNAC, enseignante chercheuse – artiste – Université des Antilles (volet 2) / Entretien réalisé par Philippe Diser [Vidéo]. ViàATV. https://viaatv.tv/karine-benac-enseignante-chercheuse-artiste-universite-des-antilles-volet-2/
Charon, Aurélie. (Présentatrice). (Mardi 17 janvier 2012). Jeannine Guillou et Nicolas de Staël : la rencontre [Episode de podcast audio]. Dans Omélianenko, Irène (Productrice). Les Ateliers de la nuit. Radiofrance. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-atelier-de-la-creation-14-15/jeannine-guillou-et-nicolas-de-stael-la-rencontre-3926577
Bénac, Karine Katia. (2024). Le théâtre karibéen : sa troupe, son répertoire, son devenir, teaser. 4 mai 2023. Conférence-performance clownesque sur le harcèlement moral [Vidéo]. HAL science ouverte. https://hal.science/hal-04392035
Bénac, Karine Katia. (s. d.). Karine Bénac. https://karine-benac-giroux.fr
Tauliaut, Flora. (2 juin 2023). Harcèlement moral à l’Université des Antilles : « J’allais travailler avec la peur au ventre ». RCI Martinique. https://rci.fm/martinique/infos/Justice/Harcelement-moral-lUniversite-des-Antilles-Jallais-travailler-avec-la-peur-au-ventre
NOTE: Ce texte est un témoignage de recherche-création sur les violences faites aux femmes artistes, à partir de mon expérience de chercheuse-artiste métisse victime d’un harcèlement moral au travail. Cette autofiction puise sa réflexion dans les processus de délégitimation, violence et invisibilisation ayant accompagné mon parcours artistique-professionnel. Ce témoignage autofictionnel s’appuie sur un dialogue fictif avec Jeannine Guillou, femme peintre invisibilisée, épouse de Nicolas de Staël, décédée en 1947, morte d’épuisement, rendue à la vie par une exposition en 2011 accompagnée d’un catalogue. Le dialogue s’organise autour d’une scénographie constituée de photographies de plusieurs de mes toiles, emblématiques de mon parcours. Cette scénographie représentera un chemin symbolique, de l’anonymat vers la visibilité, du syndrome de l’imposteur à la mise en lumière de ma carrière d’artiste, en contrepoint avec le cheminement d’autres femmes artistes oubliées ou méconnues.
Karine Katia Bénac est chercheuse-artiste féministe, maîtresse de conférences HDR (9e et 18e sections du CNU) en arts du spectacle à l’Université des Antilles (Martinique) et membre du LEGS-UMR 8238. Elle est poète, artiste-peintre autodidacte, autrice dramatique, clown-chercheuse, performeuse, metteuse en scène. Issue de l’immigration algérienne par son père (danseur et chorégraphe), et de la Réunion par son grand-père maternel engagé dans les Tirailleurs Sénégalais, elle a écrit, conçu, mis en scène et parfois interprété plusieurs pièces et performances de recherche-création avec des étudiant·e·s/doctorantes autour des héritages coloniaux et de leurs enjeux identitaires, politiques, culturels, en ligne sur manioc.org. Depuis 2022 elle s’est lancée dans le seule en scène, avec notamment une conférence-performance clownesque de 45’ inspirée de son expérience de plainte pour harcèlement moral au travail (avec condamnation au pénal en 2023), « Le théâtre karibéen : sa troupe, son répertoire, son devenir ». Sa pièce La Biquette d’El Biar, qui traite de la transmission intergénérationnelle des traumas dans le contexte de la guerre d’Algérie, a été finaliste en 2023 du prix « Le Jardin d’Arlequin ». Elle a été lauréate en 2020 de la Fondation pour La Mémoire de l’Esclavage pour sa pièce de recherche-création étudiante, comédie-ballet féministe décoloniale, Des Veuves créoles (2022), en ligne sur manioc.org.
Elle a créé avec Céline Paringaux la compagnie Kré-Ambule en 2023.
Elle a ouvert un champ de recherche sur le traitement des stéréotypes raciaux/genrés, les perspectives décoloniales et les rapports sociaux de sexe dans la danse contemporaine en Martinique. Elle est membre du comité de pilotage de la plate-forme www.matrimoine.art.